Intelligence représentative
La pensée concrète
La pensée formelle
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Introduction
La dernière étape de développement de l’intelligence sensori-motrice se caractérisait par l’apparition de la capacité pour l’enfant de représenter intentionnellement des objets, des scènes ou des événements non présents, par le moyen soit de l’activation du schème sensori-moteur leur ayant donné initialement sens, soit de ces instruments spécialisés de représentation que peuvent être les symboles motivés ou les signes conventionnels.Vers la fin de la deuxième année, l’apparition de la capacité cognitive de représenter ou de concevoir les réalités absentes peut être considérée comme le point de départ de la découverte d’un monde nouveau, aux frontières beaucoup plus grandes que le monde correspondant aux activités sensori-motrices.
Dès lors le rapport entre action et pensée va se modifier de plus en plus de telle manière que notions, croyances et inférences seront de moins en moins des composantes indissociables d’actions nécessairement liées à la situation physico-biologique présente dans laquelle l’enfant se trouve plongé, et deviendront de plus en plus les schèmes directeurs, organisateurs et évaluateurs de ses activités...
Les nombreuses études réalisées par Piaget, d’abord à l’occasion de l’observation de ses propres enfants, puis, par lui et ses collaborateurs, sur le développement des formes et des catégories de la pensée concrète et de la pensée formelle, vont aboutir à la même constatation que celle faite lors des recherches sur l’intelligence sensori-motrice:
Ce n’est que très lentement, et en passant par plusieurs étapes, que la pensée encore embryonnaire de l’enfant de deux ans se transformera jusqu’au point d’atteindre des compétences que, sous une forme encore grossière, les anciens philosophes avaient reconnues comme liées à "l’âge de raison".
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La pensée concrète
L’univers de la représentation qui se construit à partir de dix huit mois environ n’est pas sans lien avec le monde de la perception. Initialement, il n’en est que le prolongement. Puis il devient le cadre conceptuel dans lequel les choses perçues et les actions effectuées viennent occuper une place de mieux en mieux délimitée.Huit ans environ seront nécessaires pour que s’achève une première mue qui transforme l’être humain davant le langage en un être doué d’une première forme de pensée rationnelle, pleinement logique. Huit ans, cela signifie une somme considérable d’échanges avec autrui, d’interactions avec le monde extérieur, mais aussi d’activités cognitives.
Mais si la pensée prend une importance toujours plus grande par rapport à l’univers de l’action, elle lui reste liée en ce sens que c’est toujours un monde de choses ou d’événements représentés ou perçus que conçoit l’enfant, que sa pensée part bien de ce monde ou de ses prolongements imaginaires, et que son activité est entièrement ou presque consacrée à agir physiquement ou en pensée sur lui.
C’est cette restriction qui explique le choix de l’expression utilisée par Piaget pour désigner cette période du développement de l’intelligence qui s’étend approximativement de deux à dix ans: la pensée concrète, laquelle sera suivie par une forme de pensée plus abstraite, hypothético-déductive.
De deux à six ans environ, c’est-à-dire jusqu’à l’apparition de l’"âge de raison", puis de six ans à dix ou onze ans, la psychologie génétique montre l’existence d’une succession de stades, chacun caractérisé par la présence de capacités de plus en plus grandes d’organiser et de maîtriser l’univers de la représentation.
De tels stades ont pu être mis en évidence dans de multiples domaines, tels que ceux de la pensée logique, de la pensée mathématique (arithmétique ou géométrique), et de la pensée physique (les quantités physiques, le hasard et la causalité). Comme ils ont pu aussi être mis en évidence dans les domaines des conduites sociales ou du jugement moral, dans la mesure où il y intervient forcément des opérations intellectuelles et téléonomiques.
Les études consacrées par Piaget à la genèse de la pensée rationnelle chez l’enfant avaient pour objectif premier de résoudre des problèmes d’épistémologie. On ne saurait pourtant minimiser leur portée pour la psychologie.
Les conduites animales et humaines dépendent en effet très largement de l’ordre que les individus peuvent reconnaître ou inscrire dans le monde dans lequel ils vivent. On comprend dès lors d’autant mieux les raisons pour lesquelles ceux-ci se comportent de telle ou telle manière que l’on parvient à mieux décrire et expliquer leurs compétences cognitives.
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La pensée formelle
Du possible conçu en fonction du réel...De deux à onze ans environ, l’enfant organise progressivement un univers composé d’objets réels ou imaginaires qui débordent de plus en plus le monde de la perception et de l’action immédiates.
Il construit ainsi, entre autres choses, des concepts tels que celui de fleur ou de rose, ou encore ceux relatifs aux grandeurs numériques ou spatiales (les longueurs ou les surfaces par exemple), qui lui permettent de penser en bonne logique, au moyen de symboles ou de signes, des réalités qu’il ne perçoit pas, voire qui n’existent pas.
Cet univers de la pensée concrète lui permet déjà de prévoir ce qu’il fera demain, d’agir en fonction de buts éloignés dans le temps.
De plus la différence qui existe entre l’univers représenté et l’univers réel lui permet déjà de prendre conscience de la vérité ou de la fausseté des propositions, voire même de suspendre l’assertion d’une proposition dans la mesure où il sait ne pas posséder les informations qui permettraient de dire que telle ou telle chose s’est ou non réalisée. C’est là une capacité qui prépare en un sens la pensée à opérer d’une façon plus abstraite.
Mais, qu’il soit imaginaire ou bien réel, ce réel inconnu, qui s’inscrit en filigrane dans l’affirmation d’un enfant répondant «je ne sais pas» à une question que peut lui poser un adulte, reste alors, aux yeux mêmes du premier, "juge" d’une proposition à venir qu’il s’autorisera à affirmer seulement lorsqu’il possédera les informations à son sujet.
C’est vers ce réel inconnu qu’est essentiellement tourné l’esprit de l’enfant, et non pas vers la proposition qui pourrait l’exprimer.
... Au réel conçu comme cas particulier du possible
Au contraire, une fois acquises l’ensemble des capacités logiques, propres à la pensée concrte, de reconnaître les choses comme appartenant à telle ou telle classe, ainsi que d’opérer sur les classes, sur l’espace, sur le temps, etc., le sujet va pouvoir penser aux propositions elles-mêmes, plus qu’aux réalités visées par ces propositions.
Il va pouvoir raisonner sur des hypothèses, et par exemple pouvoir se dire (ou dire à autrui): «supposons que ceci soit vrai et non pas faux, comme je le sais, et supposons que cela soit faux et non pas vrai, que se passerait-il?»... Ce qui est supposé vrai et ce qui est supposé faux n’ont plus besoin de correspondre à des réalités "réelles" ou imaginaires. Il suffit à l’adolescent de considérer les propositions en elles-mêmes, de les supposer vraies ou fausses, et d’examiner ce qu’il en résulte logiquement.
Avec la capacité de raisonner sur de pures hypothèses, un nouveau monde naît alors, celui des possibilités simplement logiques, que tout adulte a découvert un jour ou l’autre. Comment cela se peut-il?
Que se passe-t-il à partir de onze ans environ, pour que le sujet parvienne à ne plus opérer plus seulement sur le réel perçu ou simplement conçu, mais sur les propositions elles-mêmes, qui sont des êtres logiques? Que sont les opérations qui opèrent sur ces êtres? Voilà un des problèmes que Piaget et Inhelder vont parvenir à résoudre dans leurs études sur la pensée de l’adolescent.
L’usage du "si alors", si frappant dans les constructions imaginaires des adolescents, est l’une des meilleures illustrations de la profonde transformation que connaît la pensée vers onze ou douze ans. Mais ce n’est pas la seule.
Pensée formelle et capacité d’organisation de l’action
Initialisée par Inhelder, l’étude des conduites expérimentales, ou des stratégies, utilisées par les enfants et les adolescents montre que ces derniers procèdent différemment des premiers, de façon beaucoup plus performante, lorsque, par exemple, on leur demande de classer de toutes les manières possibles des objets qu’ils ont sous les yeux.
Comment les adolescents s’y prennent-ils alors? En quoi leurs actions diffèrent-elles de celles des enfants de sept à onze ans environ?
La coordination de la méthode génétique (et de la méthode comparative) avec celle d’analyse logique va aboutir à un résultat spectaculaire: ce qui rend plus puissantes les actions organisatrices du réel chez les adolescents est cela même qui leur permet par ailleurs d’opérer sur des propositions: la présence d’opérations sur des opérations.
Est-ce à dire que l’ancien mode de penser disparaît? Non bien sûr. Ce n’est qu’en certaines situations que l’adolescent exploitera pleinement ou seulement partiellement le pouvoir nouvellement acquis d’opérer non pas sur des objets, sur des classes d’objets ou sur des relations entre objets, mais sur des opérations.
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Pour en savoir plus
JP47: La psychologie de l’intelligenceConstamment réédité, ce petit livre contient une introduction aux recherches sur l’intelligence sensori-motrice et l’intelligence représentative à l’état d’avancement où elles se trouvaient en 1947.
JP63b: Les opérations intellectuelles et leur développement
Rédigé par Piaget et Inhelder, ce chapitre du traité de psychologie expérimentale de Fraisse et Piaget contient un résumé de l’ensemble des recherches consacrées au développement de la pensée logico-mathématique et de la pensée physique de l’enfant et de l’adolescent. Les auteurs y présentent également les quatre facteurs principaux du développement, dont l’équilibration.
JP66b: La psychologie de l’enfant
Publié par Inhelder et Piaget dans la collection "Que sais-je?", ce petit livre (PUF) contient une excellente introduction à toutes les facettes de la psychologie piagétienne. Les quatrième et cinquième chapitres sont plus spécialement consacrés aux opérations intellectuelles de la pensée concrète et de la pensée formelle.
JP70a: L’épistémologie génétique
Le premier chapitre de ce petit livre (publié en 1970 dans la collection Que sais-je?) contient un résumé très dense de la totalité des recherches sur le développement de l’intelligence, et plus particulièrement du développement de l’intelligence opératoire. Piaget applique à cette nouvelle description synthétique de la genèse des structures une approche qui fait mieux ressortir les mécanismes de construction, appelés à devenir l’objet principal de ses recherches dans les années septante.
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