Fondation Jean Piaget

Étapes en philosophie: Introduction


Dans "Sagesse et illusion de la philosophie", le second ouvrage que Piaget ait consacré à cette discipline (JP65b), celui-ci décrit ce qu’il appelle sa "déconversion" philosophique. Nous verrons ce qu’il convient d’entendre par là. Mais une chose est certaine lorsque l’on considère dans son ensemble l’oeuvre de Piaget: ses rapports avec la philosophie sont durables et profonds. Celle-ci intervient d’une double façon, interne et externe, dans la construction de l’oeuvre.

Comme chacun le sait bien, l’interrogation philosophique est au coeur de chaque individu, ou du moins de chaque enfant. Sans qu’elle devienne forcement explicite et consciente, il n’est pas possible pour un enfant d’éviter la question du sens de la vie (ne serait-ce qu’à travers la découverte de la mort, ou à travers la question socratique du "qui suis-je?"). Piaget y échappera d’autant moins que tout, dans son entourage, favorisait une autonomie de jugement qui ne pouvait que rendre plus aigu le besoin de comprendre.

Tout au long de l’élaboration de son oeuvre, il poursuivra des réflexions de plus en plus différenciées, et il effectuera des choix qui, d’une manière ou d’une autre, ont leur source ultime dans le questionnement philosophique auquel nul n’échappe.

Mais la philosophie intervient d’une seconde façon dans l’élaboration de l’oeuvre. Les réflexions conduites par autrui, ainsi que les solutions apportées par les différentes sciences aux problèmes généraux qui les fondent, ne vont pas cesser d’enrichir le bagage de questions, de notions et de conceptions qui sont au coeur de l’activité intellectuelle de Piaget. C’est surtout pendant les années de formation que cet apport va influencer la construction de l’oeuvre, les directions que celle-ci va prendre dans chacun des domaines dans lesquels son auteur s’est investi. Mais par la suite, cet apport se prolongera par la biais de la construction de l’épistémologie génétique et par celui de l’épistémologie interne des sciences pratiquées.

On distinguera ici quatre étapes dans l’histoire des rapports de Piaget avec la philosophie. La première est celle de la découverte de la philosophie savante, non pas celle qui naît spontanément chez tout enfant ou chez tout adolescent, mais celle qui est publiée. On verra comment, là comme ailleurs, le jeune Piaget réalise très vite de petits travaux qui vont lui permettre de mettre de l’ordre dans ses pensées et de poser les tout premiers jalons de l’oeuvre scientifique à venir. Ces travaux complètent fort heureusement ceux réalisés en histoire naturelle en apportant à ces derniers une dimension théorique sans laquelle il n’est pas de vraie science.

La seconde étape, entre 1916 et 1918 environ, sera marquée à la fois par l’établissement d’une sorte de système de philosophie qui couvre la totalité des grandes questions philosophiques (le "que puis-je savoir?", le "que dois-je faire?" et le "que puis-je espérer?" de Kant), et par des réponses apportées autant à ces questions, qu’à d’autres portant sur la nature des objets considérés ("qu’est-ce que la vie?", "qu’est-ce que la pensée?", etc.).

La troisième étape, entre 1919 et 1930 environ, verra Piaget reconsidérer les choix philosophiques de la seconde à la lumière, d’une part, des premiers travaux qu’il a réalisés en psychologie génétique, et d’autre part, de son assimilation de la philosophie critique de celui qui fut son dernier maître en philosophie, Brunschvicg.

Enfin, quatrième étape, ce sera la déconversion, faite de longues années de silence sur le plan de la philosophie (mais Piaget n’en pense pas moins pour autant), et qui débouchera sur "Sagesse et illusion de la philosophie" (JP65b), ouvrage dans lequel son auteur tire le bilan de ses rapports passés avec cette discipline et où il propose sa vision d’une philosophie débarrassée de l’illusion d’être une forme de connaissance.

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[…] les découvertes de Gödel, Church, etc. sur la limitation des formalismes ont profondément modifié la situation et obligent à considérer la formalisation dans une perspective constructiviste fort éloignée de cette sorte de sérénité quiète qui caractérisait les travaux d’avant 1931, fondés sur une croyance parfois explicite en des « formes » éternelles.