Fondation Jean Piaget

Le développement de la mesure

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Le développement de la mesure, qui rend possible la constitution de l’espace mathématique, est entièrement solidaire de la construction progressive des opérations spatiales qui procèdent, tout comme la construction des opérations logico-mathématiques, de la coordination des actions du sujet. La mesure suit en effet un mode de formation comparable à celui du nombre. Ce dernier résulte de la synthèse des groupements qualitatifs de classes et de relations et se constitue en étroite solidarité avec eux. Or, dans le domaine des quantités continues telles que l’objet, l’espace, le temps, la vitesse, etc., la partition représente l’équivalent de ce qu’est l’addition des éléments dans le domaines des classes emboîtées et le déplacement constitue pour sa part un changement d’ordre ou de placement qui correspond à la sériation des relations asymétriques. À partir des premières intuitions topologiques qui permettent déjà de différencier les relations de voisinage, séparation, enveloppement, etc., et avant même toute métrique, se constituent deux groupements opératoires reliant entre elles des opérations qualitatives infralogiques portant sur des parties ou éléments d’objets. Le premier groupement repose sur la composition partitive qui consiste à décomposer un tout en parties finies quelconques puis à les recomposer de manière additive, indépendamment de toute métrique. Ce sont les opérations constitutives de ce groupement qui rendent possible la conservation du tout indépendamment de l’arrangement des parties. Le second est l’ordination des positions, construit à partir des voisinages unidimensionnels, qui permet de composer entre eux les déplacements, par exemple d’inverser l’ordre de succession ou de transformer un ordre linéaire en ordre cyclique et réciproquement. Ces premières opérations assurent la constitution d’invariants (conservation des surfaces, des longueurs, des distances) qui vont s’avérer indispensables au développement de la mesure. Par exemple, la mesure d’une longueur suppose d’abord une partition, avec emboîtement d’une distance partielle dans une distance plus grande. Elle suppose également l’ordre permettant de relier les parties en une suite linéaire. Elle implique enfin une synthèse des emboîtements partitifs et de la structure d’ordre qui rend possible la constitution et l’itération d’une unité. La mesure relève d’une quantification extensive et non plus seulement intensive puisqu’elle ne se limite pas aux relations parties/tout mais suppose une comparaison des parties entre elles. Or, celle-ci ne peut se faire que s’il y a égalisation des parties et constitution d’unités de divers ordres et de fractions relatives à ces unités. Bref, tout comme les opérations numériques se construisent à partir des opérations logiques de classe et de relations, la mesure apparaît comme une synthèse de la partition et des déplacements ordonnés.

©Marie-Françoise Legendre

Toute extrait de la présente présentation doit mentionner la source: Fondation Jean Piaget, Piaget et l'épistémologie par M.-F. Legendre
Les remarques, questions ou suggestons peuvent être envoyées à l'adresse: Marie-Françoise Legendre.

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Citations

Constitution de l’espace mathématique
D’une part, l’espace n’apparaît nullement dès le début comme une structuration mathématique, car il est d’abord construit au moyen d’opérations qualitatives de caractère «intensif» avant de donner lieu à une quantification mathématique, c’est-à-dire «extensive» ou «métrique». (…) D’autre part, les opérations intensives qui constituent d’abord l’espace opératoire ne sont pas identiques aux opérations logiques de classe et de relations asymétriques, dont la synthèse aboutit à la formation du nombre, mais tout en leur étant isomorphes, elles demeurent sur le plan concret, d’un caractère distinct, que nous appellerons «infralogique». C’est seulement à partir du moment où elles sont formalisables, c’est-à-dire où elles sont exprimées par de simples propositions hypothético-déductives et soumises comme telles au système des opérations formelles, et non plus concrètes, qu’elles deviennent assimilables aux opérations logiques. I.E.G. Vol.I., pp. 205-206.

Mesure
Une fois acquise une invariance élémentaire des distances, la mesure devient possible, mais elle ne résulte nullement d’une simple application du nombre à la grandeur géométrique et elle suppose une nouvelle synthèse, intéressante à suivre parce que presque isomorphe à celle du nombre mais en termes de partition du continu et de déplacements, et presque contemporaine mais avec un léger décalage dû au fait que l’unité n’est pas suggérée par le caractère discret des éléments, comme dans le cas du nombre, mais doit être construite en fonction précisément de cette partition. L.C.S., p. 420.
(…) la mesure consiste en une synthèse de la partition et du déplacement, selon un même mécanisme constitutif que celui dont résulte le nombre par synthèse de l’inclusion et de l’ordre sérial, sauf qu’ici l’inclusion est partitive (ce qui signifie fondée sur les voisinages des parties et non pas sur leurs ressemblances) et l’ordre sérial parcouru spatialement; et dans les deux cas l’élaboration de l’unité résulte de l’élimination des qualités ici représentées par les inégalités de longueur de segments. L.C.S., p. 421.

Généralisation de la mesure
La généralisation de la mesure conduit aux systèmes de coordonnées. L.C.S., p. 421
(…) dans le domaine spatial, la mesure n’est qu’une étape, contrairement à l’achèvement que constitue le nombre sur le terrain des objets discontinu, parce qu’elle doit pouvoir s’effectuer selon trois dimensions : elle se prolongera donc en un système de coordonnées (…) E.E.G., Vol. 33, E.S.C., p. 110

Mesure et quantification extensive
On peut (…) s’attendre, si la correspondances des deux systèmes logique et infralogique est exacte, à ce que la mesure (laquelle équivaut dans le domaine spatial à ce qu’est le nombre sur le terrain des ensembles discontinus) résulte d’une même fusion des opérations de partition et de déplacement. On peut s’attendre également à ce que la «quantification extensive» résulte d’une généralisation, s’étendant aux rapports entre les parties d’un même tout, des relations établies par les opérations «intensives» entre les parties et le tout comme tel. I.E.G., Vol. I, p.213

Indissociabilité de la qualité et de la quantité
(…) dire que la qualité et la quantité sont indissociables ne signifie nullement qu'elles soient identiques: elles sont simplement aussi primitive l'une que l'autre, au point de vue génétique, et aboutissent, en leur état d'équilibre opératoire, à une forme de solidarité telle que l'on ne saurait définir l'une sans faire appel à l'autre. I.E.G., Vol. I, p. 78

Quantité intensive
Nous dirons qu'un rapport quantitatif est d'ordre intensif si l'on sait seulement que le tout est plus grand que la partie B>A ou C>B, etc., mais sans pouvoir déterminer si l'une des parties du tout, par ex. A, est plus grande, plus petite ou égale à la partie complémentaire A'. I.E.G., Vol. I, p. 81

Quantité extensive
Supposons maintenant que l'on introduise un rapport quantitatif nouveau entre les parties complémentaires d'un même tout, soit entre les classes A et A' pour la classe B, ou entre les relations a et a' pour la relation b. C'est cette spécification des rapports d'extension entre les parties elles-mêmes qui marque le passage de la qualité intensive à la quantité extensive, c'est-à-dire de la logique des classes et des relations qualitatives à la mathématique proprement dite. I.E.G., Vol. I, p. 82.

Quantité numérique ou métrique
Enfin, nous parlerons de quantité numérique ou métrique lorsqu'en un tout B, les parties complémentaires A et A' peuvent être réduite à une unité commune. (…). La quantité numérique ou métrique est donc à concevoir comme un cas particulier de la quantité extensive, mais ce sont ces deux sous-espèces que l'on oppose l'une à l'autre en mathématique sous le nom de qualitatif et de métrique. I.E.G., Vol. I, p.83.

Passage de la quantité intensive aux quantités extensives et métriques
Le passage de la quantité intensive aux quantités extensive et métrique (…) s’opère (…) non pas par adjonction d’opérations nouvelles, mais par un simple regroupement des opérations en jeu dans les groupements précédents. (…) il n’y a pas (…) un stade de quantification intensive, suivi d’un stade ultérieur de quantification extensive ou métrique. D.Q.P.E, p. 333.

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L’esprit organise […] l’univers en s’élaborant soi-même. Mais il ne s’élabore qu’en projetant devant lui ce qu’il puise dans son passé. Un tel balancement ne saurait avoir de fin.