Fondation Jean Piaget

La solution constructiviste

Le constructivisme comme tertium
Constructivisme, innéisme et accord avec la réalité


Le constructivisme comme tertium

Le constructivisme épistémologique est l’une des grandes solutions possibles au problème de l’origine des connaissances, et spécialement des structures logico-mathématiques, dont les travaux de Piaget montrent qu’elles jouent un rôle essentiel non seulement dans l’explication de la réalité physique, mais également dans celle de la raison humaine.

Comparée aux autres, ce qui fait sa force c’est qu’elle se nourrit dun double effort d’enquêtes empiriques, de modélisations logico-mathématiques et de réflexions théoriques qui non seulement lui donne une assise scientifique, permettant l’accord intersubjectif, mais le nourrit de milliers d’observations, d’expériences et de réflexions accumulées au cours de décennies de recherche.

Le constructivisme apparaît ainsi comme la première solution scientifique à peu près satisfaisante au problème de l’origine de la raison. D’autre part, il offre la propriété de non seulement contredire ce que chacune des autres solutions contient d’erroné par rapport aux faits recueillis par l’épistémologie génétique, mais aussi d’intégrer ce que chacune d’entre elles enferme de plausible.

Le constructivisme comme source de démentis

En ce qui concerne les démentis que les études psychogénétiques apportent aux autres solutions, on notera ainsi que le constructivisme s’oppose autant à l’empirisme, lorsque celui-ci cherche dans l’objet extérieur l’explication de l’origine des connaissances rationnelles, qu’au platonisme qui fait reposer celle-ci sur l’existence également extérieure d’un monde de pures idées.

Mais il s’oppose aussi à l’apriorisme lorsque celui-ci tend à fonder la totalité des connaissances sur quelques principes ou formes supposés constituer la substance immuable de l’esprit humain, ou encore à une forme pure de conventionnalisme, selon laquelle les connaissances dériveraient d’un certain nombre de principes, qui ne seraient certes plus fixes, mais que l’esprit humain adopterait sans raison, de façon totalement gratuite.

Le constructivisme comme solution intégratrice

Le constructivisme est au contraire une solution intégratrice au problème central de l’origine des sciences dans la mesure où il s’accorde avec ce qu’il y a de plus original au sein des autres solutions.

C’est ainsi le cas lorsqu’il affirme, avec l’empirisme, le platonisme et l’apriorisme, que la connaissance rationnelle et les principes sur lesquels elle repose ont effectivement une portée objective, ou lorsqu’il soutient, avec le platonisme et l’apriorisme, que ces principes ont une valeur qui dépasse celle des connaissances empiriques, ou encore lorsqu’il souligne avec l’apriorisme le rôle essentiel du sujet dans la constitution des connaissances rationnelles.

De même le constructivisme s’accorde-t-il avec l’empirisme et le conventionnalisme pour soutenir que ces principes ont une histoire, avec l’empirisme lorsque celui-ci affirme qu’une certaine forme au moins d’expérience joue un rôle dans la genèse de ces principes, et enfin avec le conventionnalisme, dans la mesure où celui-ci insiste sur la part de créativité humaine dans l’acquisition des connaissances rationnelles.

L’originalité du constructivisme

Mais la solution constructiviste n’apparaît pas seulement comme une synthèse des solutions antérieurement proposées, issue de décennies de recherches en épistémologie génétique (). Elle contient également des traits originaux qui concernent:
    – l’aspect "pyramidal" (pyramide inversée) de la construction des connaissances d’une part,

    – les mécanismes à l’oeuvre au sein de cette construction d’autre part,

    – et enfin l’accord entre le sujet et la réalité extérieure, autrement dit la possibilité d’une science qui ne se limite pas aux disciplines logico-mathématiques, mais qui atteint effectivement les structures d’état et de transformation de la réalité physique.
Concernant le caractère "pyramidal" ou intégrateur de la construction des connaissances, en particulier l’emboîtement des structures ou des systèmes cognitifs les uns dans les autres, il y a là, notons-le, à la fois une exigence du constructivisme et une constatation.

Du point de vue de l’épistémologie génétique, il n’y a de solution constructiviste que si un tel emboîtement se laisse constater dans le devenir des connaissances, et s’il est possible d’apporter une explication à cette intégration.

C’est bien le cas dans la solution que propose Piaget: la construction se laisse constater aussi bien dans le développement cognitif des enfants (par exemple les structures de la pensée formelle intègrent celles de la pensée concrète), que dans le développement des sciences (rapport d’intégration au moins partielle entre la mécanique newtonienne et la mécanique relativiste; rapport d’intégration dans l’histoire de l’arithmétique; rapport d’intégration résultant des thèses de limitation en métamathématique, etc.).

Quant aux mécanismes de construction, l’étude du développement de l’enfant a montré l’existence de mécanismes généraux communs (l’équilibration, l’abstraction réfléchissante, les régulations, la mécanique "intra-inter-trans") dont les derniers ouvrages de Piaget et de ses proches collaborateurs confirment la présence sur le terrain de l’histoire des sciences.

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Constructivisme, innéisme et accord avec la réalité

Les dernières études réalisées par Piaget et ses collaborateurs n’ont pas seulement pour objet d’éclairer la nature des mécanismes de construction, mais de conforter la thèse constructiviste face à la thèse du "tout inné" qui a fortement marqué les sciences cognitives dans les années septante.

L’innéisme privilégie la thèse selon laquelle l’apparition successive des structures de la raison, comme celles du langage, serait prédéterminée par l’hérédité biologique, ce qui signifierait que la science adulte serait virtuellement contenue dans le système génétique de l’espèce humaine.

Piaget va trouver un nouvel argument à opposer à cette thèse en montrant que chaque stade de construction s’ouvre sur de nouvelles possibilités d’action et de pensée qui n’étaient pas comprises dans le champ des possibles du stade antérieur ().

En plus des faits rassemblés sur la genèse du possible, Piaget va trouver un allié de poids chez Gödel et chez ses successeurs, qui démontrent que la seule façon de fonder des systèmes mathématiques plus puissants est d’en construire de nouveaux, cette construction ne pouvant se faire par un jeu réglé de combinaisons des mathématiques acquises, mais seulement par une véritable activité créatrice.

L’accord des mathématiques avec la réalité

Mais alors, si la mathématique est le résultat d’une construction humaine, comment expliquer qu’elle soit la clé qui a permis aux physiciens modernes de prédire et de comprendre le monde extérieur? La réponse que croit pouvoir donner Piaget, certainement la plus risquée de toute son oeuvre, il la trouve dans le fait que les constructions mathématiques prolongent les constructions biologiques, et que c’est donc dans le rapport intérieur de la réalité biologique à la réalité physique, que résiderait, selon lui, la solution du problème de l’adéquation des mathématiques au monde extérieur.

L’intelligence créatrice

On notera pour conclure que la solution constructiviste qui a paru s’imposer avec de plus en plus de force à partir des années soixante marque un certain déplacement du pôle de gravité de l’oeuvre piagétienne. Si, des années vingt aux années cinquante, il semble que le problème le plus fondamental qui ait guidé les recherches de psychologie et d’épistémologie génétiques ait été de trouver l’origine et l’explication des connaissances rationnelles, à partir des années soixante, c’est la raison constituante plus que la raison constituée qui a intéressé Piaget, c’est-à-dire les mécanismes créateurs de connaissances toujours nouvelles qui résident au coeur de la subjectivité.

Les raisons de ce qui peut apparaître comme un retour au bergsonisme de sa jeunesse, ou plutôt à cette foi dans le dynamisme de l’intelligence qui était au coeur de la philosophie de Brunschvicg, sont assez évidentes.
    D’une part, il était inévitable que, après de nombreuses recherches consacrées au problème de la genèse des structures cognitives, Piaget porte son attention aux mécanismes de cette genèse.

    Et d’autre part, vu l’importance que prenait l’influence de l’innéisme sur le terrain des sciences cognitives, il était impératif de mettre en évidence le caractère créateur des activités du sujet, qui n’a certainement jamais cessé d’aller de soi pour le biologiste, épistémologue et psychologue genevois, mais que certains chercheurs en sciences humaines semblaient avoir perdu de vue.
Notons cependant que le constructivisme n’en était pas pourtant abandonné au bénéfice d’un créationnisme romantique. Les nouvelles recherches n’apportent aucun démenti par rapport aux études sur la genèse des structures. Elles les renforcent même puisque ce qui permet l’ouverture sur des possibles de plus en plus vastes est précisément la construction de systèmes de pensée de plus en plus puissants, cette puissance étant assurée par les opérations qui leur sont propres.

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Un schème est ce qui se répète et ce qui se généralise en une action reproductrice et généralisatrice propre aux processus de l’action. En un tel sens, la conservation d’un schème dépend directement de son propre exercice et constitue le résultat de son propre fonctionnement; il en résulte que la mémoire d’un schème n’est pas autre chose que le schème lui-même.